BARRAGES NATURELS DUS AUX GLISSEMENTS DE TERRAIN

 

ELEMENTS D'ANALYSE

Les causes les plus fréquentes des éboulements qui conduisent à la formation de barrages naturels sont :

- les fortes précipitations -pluie ou neige- (51% des cas)
- les séismes (39% des cas)
- le volcanisme (8% des cas)
- les autres mécanismes -dévégétalisation, érosion...- (environ 2% des cas).

J.E. COSTA et R.L. SCHUSTER effectuent une classification des barrages naturel en 6 catégories, basée sur leur relation avec la morphologie du fond de vallée.

a) - Barrage de type I (11% des cas sur 184 recensés dans le monde) : ce type de barrage ne bouche pas la vallée d'une rive à l'autre.

b) - Barrage de type II (44% des cas recensés) : ce type de barrage occupe tout le fond de vallée, et des matériaux peuvent même être déposés sur la face opposée à l'éboulement.

c) - Barrage de type III (41% des cas recensés) : les matériaux sont très étalés vers l'amont et vers l'aval de l'axe de l'éboulement.

d) - Barrage de type IV (<1%) : implique la rupture simultanée des deux côtés de la vallée (rare).

e) - Barrage de type V (<1%) : barrages multiples provenant d'un seul éboulement séparé en plusieurs langues.

f) - Barrage de type VI (3%) : proviennent d'une ou plusieurs surfaces de rupture qui passent sous le fond de la vallée et qui émergent dans la face opposée au départ.

Les barrages se forment plus fréquemment dans les vallées étroites, bordées de flancs hauts et déchiquetés. Plus la vallée est étroite, moins le volume devra être important pour qu'il y ait formation de barrage.

Le maximum des barrages provient des avalanches, des effondrements et des glissements de terrain, et des coulées. Peu de barrages proviennent de ruptures de pente dans des argiles, ou de la chute de blocs, en raison des faibles volumes généralement mis en jeu.

Les grands volumes qui s'effondrent à partir de versants très raides, dans des vallées étroites, forment des ouvrages solides en raison de la haute énergie développée qui autocompacte les éboulis avant qu'il puisse y avoir lessivage par les eaux.

Généralement, les grands barrages proviennent de glissements complexes qui démarrent en glissement ou en affaissement, et qui se poursuivent sous forme d'avalanches rocheuses.

Si la base de la zone en mouvement se situe sous le niveau de la vallée (barrages de type VI), le mouvement ascendant impliqué au lit de la rivière peut inverser localement le gradient, et former un lac peu profond. Les débâcles sont mineures dans ce cas en raison de la taille réduite des lacs, et de la bonne résistance à l'érosion des matériaux peu remaniés.

Les boues et coulées de terre constituent des barrages peu hauts, et constitués de matériaux de faible cohésion. Aussi le débordement et la création de brèche interviennent-ils rapidement.

Le plus gros barrage connu semble être celui de la rivière Murgab, dans le Pamir, formé en 1911 par l'éboulement de 2000 à 2500 millions de m3 de matériaux lors d'un séisme, et dont la hauteur atteignait 550m (presque deux fois plus haut que le plus grand barrage artificiel).

Le plus grand éboulement historique est la mise en mouvement de 2.8Km3 de roche associée à l'éruption du Mt.-St.-Helens en 1980, éboulement qui est parti du flanc du volcan a parcouru 24Km, et formé 5 lacs. Seuls les 3 plus grands ont subsisté.

Les plus anciennes catastrophes dues à des ruptures de barrage datent de 563 (Suisse) et de 1006 (Java). Les plus gros dégâts résultent de la rupture du barrage de la rivière Min (Chine) en 1933 et qui causa la mort de 2423 personnes.

En 1889, au Japon, des pluies ont provoqué 53 glissements avec formation de barrages.

En 1929, en Nouvelle Zélande, un séisme a provoqué 11 glissements avec formation de barrages.

En 1783, en Italie, un séisme a provoqué 215 glissements avec formation de barrages.

Certains sites ont connu une histoire complexe :

- en 1862, a Taïwan, un séisme provoque un éboulement avec formation de barrage
- en 1898, le barrage se rompt pour une raison inconnue
- en 1941, un nouveau séisme conduit à la formation d'un nouveau barrage haut de 140m
- en 1942, des pluies provoquent un nouveau glissement qui rehausse le barrage à 217m
- en 1951, les pluies provoquent le débordement du barrage et sa rupture (154 morts et 564 maisons détruites)
- en 1979, des pluies provoquent un nouveau glissement et un nouveau barrage haut de 90m.
- 9 jours après, le débordement provoque la rupture de ce dernier barrage.

Les barrages naturels diffèrent de barrages construits du fait qu'ils sont constitués de matériaux hétérogènes, peu ou pas compactés, non imperméabilisés, non drainés, et non équipés de trop-pleins tubés. Aussi, les barrages naturels rompent-ils généralement après débordement, par création d'une brèche par érosion. Parfois, la brèche peut résulter de l'érosion fluviale qui commence en pied de barrage, pour remonter jusqu'au niveau du lac de retenue. L'érosion ne se produit généralement pas au niveau de l'ancien lit de la rivière en raison de l'apport de matériaux grossiers qui renforcent localement les alluvions. Comme les barrages naturels n'ont pas systématiquement une bonne compaction, il peut s'en suivre une érosion interne par circulation d'eau qui conduit à la rupture.

Des suintements sont observés à la base de nombreux barrages, mais les ruptures consécutives à une érosion interne sont moins fréquents que les ruptures par débordement. L'érosion interne peut aussi provoquer un affaissement partiel du barrage, suivi du débordement, de la formation d'une brèche, et de la rupture.

Un barrage dont les pentes amont et aval sont fortes, et dont la mise en charge est importante, est susceptible de subir une instabilité de pente qui peut alors être suivie de débordement et de formation d'une brèche si l'instabilité remonte jusqu'en tête de barrage. Ce type de rupture est cependant rare car, généralement, les pentes des talus de barrage sont en deçà de l'angle de frottement limite en raison d'une mise en place dynamique.

Un barrage formé par un petit glissement, dans une zone à grand bassin versant, a peu de chances de tenir longtemps, à moins que l'infiltration dans le barrage soit équivalente à l'alimentation de la retenue. Sinon, le débordement intervient rapidement, suivi de la formation d'une brèche et de la rupture.

Les barrages à prédominante meuble, faible densité, faible granulométrie, ou composés de sédiments facilement liquéfiables, manquent de résistance et ont une tenue aléatoires.

Le taux de rupture par érosion superficielle après débordement dépend de la cohésion du matériau et de son angle de frottement. Si le matériau est sursaturé, la résistance au cisaillement sera faible, et le barrage ne pourra pas résister à la pression hydrostatique croissante créée par le lac de retenue, ou alors, l'érosion sera très rapide lors du débordement.

Le critère le plus important pour la tenue d'un barrage est sa résistance à l'érosion, à la fois au niveau de sa surface pour résister au ruissellement, et dans le barrage pour résister aux forts débits des circulations internes.

Un barrage constitué de matériaux à forte granulométrie et bonne cohésion, résistera mieux à la rupture qu'un barrage constitué de matériaux meubles ou à forte teneur en fines. La présence de très gros éléments, si elle n'assure pas une protection totale contre la rupture, assure cependant une protection contre le risque de rupture brutale.

Si le matériau qui forme le barrage est perméable, facilement érodable, le niveau d'eau de la retenue est suffisant pour forcer le passage dans ces niveaux, et conduire au lessivage interne, à l'érosion, puis à la rupture du barrage. Le granoclassement des matériaux est également important. Un matériau faiblement classé avec une granulométrie 15/85 > 5% est susceptible de subir une érosion interne par lessivage.

Dans certains cas, il n'y a pas débordement en raison d'une alimentation trop faible à l'amont par rapport aux pertes dues aux infiltrations, à l'évaporation, ou aux irrigations. Dans d'autres cas, la retenue peut trouver son propre exutoire naturel par les côtés du barrage, ou par l'intermédiaire de tunnels blindés créés pou éviter le débordement.

Les ruptures différées sont parfois dues à une ou plusieurs vagues déferlantes causées par la chute de blocs, de glace ou d'avalanches dans le lac de retenue.

La durée de vie des barrages naturels dépend de 3 facteurs principaux :

a) - le débit de l'alimentation de la retenue (alimentation en eau, apport sédimentaire...)
b) - la taille et la forme du barrage
c) - les caractéristiques géotechniques du barrage (nature des matériaux, blocométrie, porosité,...)

D'autres critères interviennent, comme :

d) - la géométrie de la vallée.
e) - la tenue des terrains du fond de vallée et des versants latéraux
f) - les moyens artificiels mis en oeuvre pour éviter le débordement (brèches terrassées, tunnels de dérivation...)
g) - ...

Sur 73 ruptures de barrage documentés le délai de rupture intervient comme suit :

- 27% dans la journée qui suit la formation
- 41% dans la semaine qui suit
- 50% dans les 10 jours
- 80% dans les 6 mois
- 85% dans l'année

Des mesures de protection (généralement la création d'exutoires), doivent être engagées le plus tôt possible après la formation du barrage. Dans certains cas, le débordement est intervenu avant la fin des travaux, notamment lorsque le site est difficile d'accès pour des engins de chantier.

La méthode la plus simple consiste à réaliser un exutoire souterrain dans le massif qui jouxte le barrage, ou directement dans le barrage (exemple du glissement de Madisson Canyon - Montana - 1959).

L'exutoire réalisé directement dans le barrage n'est pas toujours couronné de succès en raison du risque d'érosion rapide engendré par le lessivage du conduit (exemple de Rio Quemaya - Guatemala - 1976, où le drainage a été trop rapide, et à créé une débâcle catastrophique).

Dans certains cas, l'abattage à l'explosif à grande échelle a été employé pour créer un nouveau lit à la rivière (Zhouqu - Chine - 1981).

D'autres méthodes de stabilisation du niveau du lac pour éviter le débordement consistent à réaliser des conduites ou des tunnels de dérivation (Spirit Lake - USA - 1986, et Thistle - USA - la même année).

La formation d'un barrage naturel crée un risque potentiel d'inondation de 2 types :

- à l'amont par les eaux de retenue
- à l'aval lors de la rupture du barrage

a) - Inondation amont :

L'inondation amont est un phénomène relativement lent, qui dépend qui dépend de l'alimentation du bassin et de la morphologie de la vallée.

Les conséquences économiques de l'inondation par reflux peuvent cependant être très importantes.

Il est généralement possible d'estimer facilement l'extension probable de la zone inondable en connaissant la géométrie du barrage et de la vallée, les données hydrologiques du bassin, et les données géotechniques du barrage (perméabilité...).

b) - Inondation par rupture du barrage :

On dispose de peu de données concernant la rupture des barrages naturels, comparée à la rupture des barrages artificiels.

Des investigations ont été menées sur la sécurité des barrages artificiels, avec élaboration de modèles numériques pour déterminer les conséquences d'une rupture. Des évaluations similaires ont été effectuées sur les risques de rupture de barrages naturels (1981-82), et qui aboutissent dans certains cas à des conclusions différentes de celles obtenues pour les barrages artificiels.

Une rupture de barrage est un phénomène complexe qui fait intervenir l'hydrologie, l'hydraulique et la géologie, et où interviennent en premier lieu le mécanisme de rupture, les caractéristiques et les propriétés du barrage.

Une voie de comparaison des différents types de rupture est d'étudier la relation qui existe entre le potentiel en énergie lié à la retenue avant rupture, et le débit provenant de la rupture (voir documents en annexe).

L'énergie potentielle du lac est égale à la hauteur de la retenue, que multiplie le volume du lac, et que multiplie le poids spécifique du liquide.

Le débit de rupture provient de l'observation de cas réels, relevés par différents auteurs. Les mesures de débit sont souvent impossibles de façon directe, et proviennent donc d'estimations indirectes.

L'analyse des données par régression (moindre carré), donne différentes équations pour les barrages provenant de glissements de terrain, de glaciers, de moraines, de chutes de blocs, avec des erreurs standard qui vont de 64% pour les barrages de glacier, à 185% pour les barrages de glissement de terrain. L'importance des erreurs standard reflète les grandes variations individuelles dans les différentes catégories de barrages, ainsi que la difficulté de définir des règles pour estimer le débit lors d'une rupture de barrage (ce point est également abordé par T. Takahashi dans "Discharge prediction of debris flow due to landslide dam failure").

Une droite de régression identifie chaque famille de barrage de façon significative, et aide à la compréhension fondamentale des barrages naturels (voir documents en annexe).

Pour la même énergie potentielle au moment de la rupture, un barrage de glacier produira le plus faible débit.

Pour une énergie potentielle inférieure à 1011 Joules, un barrage de glissement de terrain produira un débit plus important que d'autres types de barrage ayant une énergie potentielle équivalente. Pour 1011 à 1012 Joules, ce sont les barrages de moraine qui produiront les plus forts débits.

La différence de débit à la rupture (à énergie potentielle équivalente), entre un barrage naturel et un barrage artificiel provient de la différence de géométrie et de la différence de caractéristiques des matériaux.

Un barrage de glissement majeur est typiquement plus évasé qu'un barrage artificiel, et implique donc un plus grand volume de matériaux. En cas de rupture, le barrage naturel entraînera donc beaucoup plus de matériaux, et aura plus de facilités à les éroder.

Une rapide et prudente estimation du risque d'inondation peut être abordée à partir des données relatives à l'énergie potentielle de la retenue, et des graphiques établis à partir des données recueillies sur des événements antérieurs (voir figures en annexe). La courbe enveloppe qui inclut à la fois les barrages naturels et les barrages artificiels, donne une estimation raisonnable du débit qui est :

Q = 0.063 PE0.42

avec Q : débit en m3/s
et PE : énergie potentielle en Joules

Un facteur de complication pour l'estimation de l'inondation aval est l'augmentation du flot par les matériaux transportés, puis sa diminution par sédimentation. Parfois, le débit peut être augmenté très fortement par les éléments provenant d'une érosion facile, et transformer le flot en coulées de débris avec une charge solide considérable (par exemple, un débit initial de 210m3/s s'est augmenté jusqu'à 11000m3/s après 15Km - rivière Kumbel - exURSS - 1977).

Ce problème de gonflement et de dégonflement des débits par transport de sédiments est un problème actuellement insoluble, alors que ses conséquences pour l'évaluation des risques sont significatives.