3. Géologie de la Culebra
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Profil géologique au droit de la "Grande tranchée" entre les biefs d'Emperador et de Culebra et au-delà jusqu'au lieu dit Paraiso, km 57 (d'après Le Génie Civil, 1883)
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Profil géologique longitudinal sur le versant Pacifique du tracé entre les biefs de Culebra et le débouquement de La Boca (d'après le Génie Civil, 1883)
Les premières études géologiques pour la construction du canal ont été effectuées par les expéditions de Garella (1845) et de Wagner (1861), études poursuivies plus tard par Boutan (1880) qui établit un premier profil du tracé d'après les affleurements rocheux et quelques sondages peu profonds. Au fur et à mesure de l'avancement des terrassements, les reconnaissances du terrain ont été améliorées et un profil longitudinal complet fût établi par la CuCi en 1883. Les lacunes subsistantes, notamment en ce qui concerne les coupes  géologiques transversales ne purent être que très partiellement comblées par la Commission d'études de 1889 - qui fit creuser trois puits dans la passe de la Culebra – ou, postérieurement,  par les sondages de la CnCP.
  Du point de vue morphologique, la vallée du fleuve Chagres sur le versant atlantique du tracé est une plaine basse et  inondable, couverte d'alluvions sableuses et d'argiles marines dites "lamas" (Mesa, 2000). Le relief est percé dans quelques endroits isolés par des dômes de tuf volcanique tel que les collines du Mindi (fig. 2.1, point (1); km 5, niveau +16). Le terrain s'élève progressivement en suivant le tracé le long du thalweg de la vallée jusqu'à Bohio Soldado (point (2); km 24, niveau +50,5) et San Pablo (point (3); km 36, niveau +35,75) où l'on rencontre des brèches volcaniques et trachytiques compactes.
Au-delà de San Pablo (point (4)), le terrain devient de plus en plus accidenté et mamelonné sous une épaisse couverture argileuse très plastique. A partir de Gorgona (point (5); km 41,5), on pénètre franchement dans la dorsale rocheuse de l'isthme. Le socle y est constitué de sédiments détritiques marins dénommés "grès conglomératiques de Gamboa". Au bief d'Emperador (point (5); km 51, niveau + 69), on rencontre une succession de massifs de grès schisteux, de roches sédimentaires métamorphisées et un dôme résultant de l'intrusion d'une brèche volcanique recouverte d'horizons argileux mélangés de graviers et de fragments de roche. Ces dépôts sont découpés en surface par les méandres du Río Obispo (fig. 3.1).
Le flanc sud de l'intrusion, c'est-à-dire les terrains compris entre Emperador et le col de Culebra (point (6)), forment la plaine de Lirio constituée d'un sous-sol argileux ou argilo-sableux peu perméable où les eaux, stagnant en surface, rendaient l'endroit fort malsain. A la base de ces formations on trouve du basalte altéré et un socle de schistes houillers et de grès schisteux métamorphisés dont les couches supérieures sont tendres et très feuilletées.
Du point de vue géotechnique, les terrains les plus difficiles apparaissent dans le massif rocheux qui culmine au col de la Culebra (km 54,5; niveau +101,66) où l'on avait à établir le bief de partage du canal (fig. 3.1). Le site est recouvert d'un épais manteau argileux, pouvant se présenter en formations litées compactes, de teinte virant du blanc au rouge violacé,  intercalées par endroits en discordance avec des bancs de brèches (CnCP, 1899, Dollfus, 1907). Ces argiles bentonitiques proviennent de la désagrégation de roches volcaniques effusives du Pliocène, épanchées en surface et constituées d'andésite altérée, de tufs dacitiques, de basaltes et d'ignimbrites. Stratigraphiquement elles appartiennent à un étage moyen du Miocène inférieur dénommé localement formation "Cucaracha". Toujours dans un état proche de la saturation, on y observa de nombreux miroirs ou facettes de glissement attestant des mouvements de la masse sous- consolidée et des contraintes de cisaillement qui s'y sont développées. Les glacis exposés à l'air se fragmentent et s'effritent rapidement. L'andésite, en particulier, s'amollit et se délite facilement sous l'influence des phénomènes climatiques caractéristiques des régions tropicales en formant des bancs argilo-sableux (Lavergne, 1892).
Par endroits, les épanchements basaltiques recouvrent des couches meubles de tuf et leur résistance mécanique en résulte affaiblie. Ces roches ignées noires datant du Miocène supérieur, à l'origine dures, mafiques, se sont par la suite déstructurées ou fracturées au point qu'on les a qualifiées de " basaltes décomposés". Ceux-ci sont parcourus par des discontinuités de moyenne à forte densité orientées aléatoirement et, localement, on peut même y déceler des formations colonnaires.
Au-dessous, un massif de schistes argileux marbrés entrecoupé de grès argileux tendres, pouvant s'altérer très rapidement lorsqu'ils sont décapés et exposés à l'air libre, constitue l'essentiel du corps de la butte. Celle-ci est sécantée à mi-hauteur par un banc de roche sédimentaire métamorphisée constituée de "tufs soudés" ou ignimbrites (km 55). A la base du massif, on trouve un puissant socle sédimentaire appartenant au Tongrien (Ludien), partie récente de l'Eocène supérieur, constitué essentiellement de grès schisteux "à éléments cristallins fortement cimentés" mais comportant aussi dans sa masse des couches de marne, de lignite, de poudingue ainsi que de brèches dures, le tout formant un ensemble dénommé génériquement "marnes et brèches de Gamboa et de Bohio" (actuellement formation "Gatuncillo" )
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Profil transversal au droit de la "Grande tranchée" (km 55,08). Projet CnCP modifié (Dumas, 1900)
Au-delà du bief de Culebra, le tracé suit le thalweg du fleuve Grande jusqu'à Pedro Miguel(fig. 2.1, point (7); km 60, niveau ~ + 6). Le sous-sol rocheux est constitué successivement de grès doléritiques et de dolérites dans un environnement de schistes, de schistes argileux et de matériaux basaltiques durs disposés en couches horizontales (fig. 3.2) De Pedro Miguel jusqu'à La Boca (fig. 2.1, point (8); km 68), on trouve la plaine de l'estuaire du Grande dont le socle amont est constitué de tufs trachytiques durs ou décomposés sous une couverture argileuse. L'estuaire même est une succession de vases, "de sables plus ou moins argileux avec des traces charbonneuses" sur un socle constitué essentiellement "de marnes et d’argiles compactes intercalées de roches d'origine volcanique".
Le nombre réduit de sondages, leur faible profondeur, les nombreuses erreurs d'identification commises, ont conduit à une approche descriptive ignorant les aspects structuraux des terrains traversés, notamment dans la section critique de Culebra. En effet, le problème de la fiabilité des sondages s'étant posé à de nombreuses reprises, la Commission d'études (1890) constata que les "sondages exécutés par la Compagnie [CuCi] en nombre assez considérable, sont entachés d'erreurs importantes dans la détermination des terrains et des roches étudiés". En outre, "il subsiste une incertitude regrettable sur l'allure de l'inclinaison des couches dans la direction du Cerro Culebra. Il est impossible de savoir quel pendage elles auront à leur rencontre avec le talus de la tranchée, talus dont l'avancement horizontal vers le Cerro sera un peu supérieur à l'approfondissement de la cunette. Il serait fort possible que, sur un certain parcours, l'inclinaison des surfaces de stratification de cette masse, en grande partie argileuse, dépasse l'angle limite du frottement de stabilité, d'où la nécessité d'enlever les parties des couches qui seraient dans ces conditions"
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Profil transversal type adopté au début du projet par la CuCi dans les terrains rocheux compacts (d'après Le Génie civil, 1883)
La détermination des pentes des talus dans les zones rocheuses du tracé a été un des grands soucis des premiers concepteurs du canal. Le projet initial (1879), dressé d'après les recommandations de Boutan (op. cit.), consistait à établir dans les "roches compactes" une section type comportant, tant dans la cunette du canal que dans les versants, des talus inclinés de 76°. Au sommet du talus, au contact avec la couverture meuble, on réaliserait une banquette de 2 m de largeur. Au-dessus, sur toute l'épaisseur des terrains meubles, les déblais auraient une pente de  45°
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" Grande tranchée": profil transversal au droit de la progressive km 55 selon le projet originel de la CuCi (d'après Le Génie civil, 1883)
On ne doit pas s'étonner de l'adoption déterministe de ces angles de talus fort raides. De Sazilly (1851) indique que la pratique courante, prescrite en France par les "Cahiers decharges relatifs aux concessions de rectification des routes" (A.P.C., 1835), permet d'adopter "dans les terres meubles"  des angles de 45° dans les tranchées et de 33°7 (pente 1/1,5) dans les remblais. Lorsqu'il s'agissait de terrains rocheux, tel que par exemple les marnes schisteuses, l'hypothèse générale admise était "que l'inclinaison à peu près verticale convient au roc".
Cependant, d'emblée, différentes études ont soulevé des doutes quant à la stabilité effective des versants. En effet, la réalisation de tranchées aussi profondes avec des talus presque verticaux a paru tout à fait irréaliste. Les fortes pentes adoptées tendaient, en réalité, à réduire les sections transversales et à minimiser ainsi le volume des déblais. On a fait remarquer à ce titre que  "même dans le rocher, il est difficile d'admettre qu'on ne rencontre pas des plans de glissement qui produiraient des éboulements"  (Cotard, 1879).
Finalement, en 1883, la CuCi adopta un profil type moins raide, sensé être plus en accord avec les réalités du terrain. Il comportait des talus à 45° dans les schistes argileux (pente 1/1) et à 63°4 (pente ½) dans le socle de grès-schisteux (fig. 4.2). Dans la "Grande tranchée", entre les postes kilométriques 45 et 59,5, le plafond du canal à niveau devait être établi à une profondeur d' environ 95 m à la verticale de l'axe. La largeur prévue de l'emprise était de 245 m et le volume des terres à excaver de 27 ×106 m³ (de Nansouty, 1888).
Dès le début des terrassements, le chantier a connu de grosses difficultés. Ainsi, le massif schisteux était "disposé en couches horizontales qui glissaient les unes sur les autres par masses énormes".  En 1886, on constata l'énorme retard qu'avaient pris les travaux car "dès qu'arrivaient les pluies d'avril, les éboulements se multipliaient sur le front d'attaque, coupant quelquefois la retraite aux excavateurs, et les cavaliers de déblais, détrempés par l'eau, se mettaient en mouvement entraînant dans une fondrière de boue rails, traverses et matériel roulant" (Lavergne, 1892).