7. Les essais
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Appareil de cisaillement transversal de Collin (op.cit)
Les essais mécaniques
A l'aide d'un appareillage en bois inspiré de celui employé précédemment par Vicat (1833), Collin effectua une série d'essais que l'on peut assimiler, très approximativement, dans leur principe, aux essais de double cisaillement utilisés actuellement en mécanique des roches. L'appareil comportait deux demi-boîtes rectangulaires en forme d'auge (a) de 4 cm de coté et 15 cm de longueur où l'on place l'échantillon de sol. Chaque auge est fixée sur un établi (b) de façon à laisser un espace béant de 5 cm entre elles. L'échantillon, sous forme d'une barrette, est emboîté dans les auges de façon à ce que la partie centrale (1,2) traverse l'échancrure. On place alors au droit de celle-ci un étrier (c) qui permet d'appliquer une charge croissante P sur les facettes verticales de l'échantillon situées à l'aplomb des arêtes. La charge de rupture est appelée "force transverse" ou "force de cohésion ". On définit la force transverse instantanée c* comme celle qui cisaille l'échantillon dans un temps inférieur à 30 secondes.
Les essais ont été réalisés principalement sur des argiles du Lias moyen (Sinémurien et/ou Pliensbachien) appartenant au Jurassique inférieur et provenant des horizons lités supérieurs formés par la "dissolution sous contrainte des charges sédimentaires" des calcaires à griphées ou à entroques. Ces argiles sont de couleurs diverses allant, de haut en bas, du roux fauve au bleu-noir.
La consistance des éprouvettes a été déterminée à l'aide d'une "aiguille de Vicat", tige en métal d'un diamètre de 1 mm et d'un poids de 1 kg, dont on mesure l'enfoncement s* dans l'échantillon de sol. Deux populations de relations s*- c* sont discernées (fig. 5.3), l'une représentant les éprouvettes compactes proches de la limite de plasticité ("corroyées comme de la brique crue") dont la consistance correspond à des pénétrations inférieures à 20 mm soit 24 résultats, et l'autre représentant les pâtes plastiques proches de la limite de liquidité  ("terre presque fluente") dont l'enfoncement de l'aiguille de Vicat dépasse 20 mm (3 résultats). La valeur moyenne de la cohésion pour les argiles plastiques est c* = 49 kPa tandis  que celle des argiles molles est  c* = 19 kPa (points à).
La différence de comportement entre les argiles humides et sèches est mise en évidence par des essais sur éprouvettes de section unitaire (1 cm²) séchées à l'air pendant 10 jours: "[Ce sont des] prismes argileux de forte consistance, telle que du savon sec: on rencontre des argiles de cette consistance en ouvrant des tranchées à travers le massif d'argiles vierges compactes dans les terrains secondaires et tertiaires".  L'aiguille de Vicat n'y s'enfonçant guère, le paramètre mesuré est la cohésion instantanée dont la valeur moyenne vaut c* = 550 kPa. On observe donc que "selon que leur consistance est forte ou faible"  le rapport des valeurs c* pour ces argiles du Lias varie "de 29 à 1".
Par ailleurs, Collin a effectué des expériences dont la configuration est similaire à celle des essais actuels de cisaillement plan en conditions drainées. En soumettant des éprouvettes  de 57 cm² de section placées dans un traîneau soumis à une charge normale P et à une charge tangentielle T, il a déduit le rapport du frottement "de première espèce" ou  "frottement de glissement" T/P pour différentes consistances et teneurs en eau w0.
Si l'on représente ces résultats sous la forme classique de Mohr-Coulomb, c'est-à-dire des diagrammes sn - t, on obtient les droites des "forces transverses permanentes"relatives aux différentes natures et consistances  des échantillons (voir fig. 5.4 dans le § iii ci-après). Des variations importantes des angles de frottement(j* = 19° à j* »45° ) et des valeurs de la cohésion nulles ou très faibles ( c* = 0àc* = 1,69 kPa) sont observées. En permettant que les surfaces argileuses en contact restent au repos sous la charge P pendant un temps t = 5 min il a introduit, de façon implicite, la notion de consolidation en prouvant que "le rapport du frottement à la pression augmentait en général par la durée du contact au repos".  Collin relève que les argiles étudiées"jouissent de propriétés si changeantes, si fugitives, qu'il est impossible d'assigner une limite à ces variations et de compter sur leur résistance pour la stabilité perpétuelle à des constructions qui en réclament l'emploi".Il note qu'une "dessiccation plus ou moins prompte, plus ou moins complète, modifie les résistances dans d'énormes proportions".Ainsi des éprouvettes présentant initialement"une dureté comparable à celle du savon sec" immergées dans de l'eau pendant 48 h"se sontramolli[e]s et sont passé[e]s  à l'état d'argile fluente incapable d'offrir la moindre résistance transversale".
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Cohésion instantanée pour différentes argiles du Lias en fonction de la consistance mesurée à l'aiguille de Vicat (Collin, op. cit.)
Le caractère prémonitoire des essais et observations de Collin apparaît, malgré leurs imperfections expérimentales, dans toute leur valeur pour le cas du canal de Panama. En effet, du point de vue phénoménologique et toutes proportions gardées, il existe des similitudes physiques et mécaniques frappantes avec le comportement des terrains argileux et argilo-schisteux de  la Culebra.
Buneau-Varilla (1892), se référant aux argiles rouges de couverture, les décrit "comme appartenant à la catégorie des terrains la plus mauvaise, la plus traîtresse, la plus difficile qu'il soit d'imaginer" et incapables d'avoir une quelconque stabilité. Ces caractéristiques très défavorables sont attribuées aux changements météorologiques qui font qu'au départ d'un matériau stable et compact dans des conditions d'humidité modérées, on aboutit, sous l'action alternée du soleil et des pluies abondantes, à une pâte "se résolvant en boue et s'y dissolvant en quelque sorte".  Par contre, les couches d'argile profondes sont supposées compactes et stables – bien qu'on y observe à l'échelle des échantillons le même comportement que les argiles de surface - car non soumises aux variations excessives de température et d'état hydrométrique. Buneau- Varilla explique ce raisonnement par le fait que, dans les talus de la tranchée, l'évaporation d'eau due à l'échauffement superficiel "est immédiatement remplacée par un appel d'eau moléculaire qui existe dans le massif et la dessiccation de la surface ne se produit pas". Par conséquent, les phénomènes de dessiccation et d'exfoliation ne peuvent se présenter qu'en "quantités très restreintes, qu'il ne vaut pas la peine de s'y arrêter comme à une difficulté sérieuse".
Cependant, les excavations prirent un cours catastrophique du fait des glissements incessants. Dans un document géologique récapitulatif, la CnCP (1899) confirme que les argiles rouges de couverture sont des terrains particulièrement dangereux car "un faible ébranlement ou même leur seul poids" suffit à déstabiliser les talus, le matériau se réduisant à une masse de "boue rouge et ferrugineuse". L'existence, au-dessous des argiles rouges, d'un socle schisto-argileux stable est aussi remise en question. Celui-ci, traversé partout de veinules argileuses semble être "d'apparence solide", mais, exposé aux contingences climatiques du site, il "ne possède plus qu'une cohésion instable, il fuse comme une marne ou s'égrène comme du sable". Les roches du socle sont donc "très défavorables pour la solidité des tranchées", notamment, au niveau de la cunette du canal où l'on serait amené à "augmenter l'importance des muraillements", c'est-à-dire à mettre systématiquement en place des soutènements.
iii) Comparaison avec les données géotechniques  actuelles du site de Culebra
    Les archives historiques disponibles ne donnent aucun renseignement quant aux caractéristiques physiques des argiles et schistes argileux de la Culebra. Dans le cas du canal de Bourgogne, Collin ne cite qu'une seule valeur générique du poids volumique à savoir g= 16,9 kPa sans autre précision. On doit donc utiliser pour cette analyse les données fournies par l'ACP ainsi que celles, plus anciennes, déterminées, entre autres, par Binger (1948) et par Lutton et al (1979):
- poids volumique saturé (argile consistante)   (Binger, ACP)
- poids volumique saturé (argile molle)  (Binger)
- poids volumique sec  (Lutton et al*)
- teneur en eau (argile consistante)  (Binger)
- teneur en eau (argile molle)  (Binger)
- limite de liquidité  (Lutton et al*, Binger)
- indice de plasticité  (Lutton et al*)
- indice de vides e = 0,425 à 0,818  (Lutton et al*, Binger)
(* valeurs limites pour les formations géologiques Cucaracha, Culebra et La Boca)
De même, en ce qui concerne les paramètres mécaniques non drainés, on trouve 
cu = 278  à 1001 kPa      ju = 0° à 18°5       ( matériaux consistants, Lutton et al*)
cu = 29  à 48  kPa      ju = 0°        ( matériaux plastiques, Lutton et al*)
    
Les diagrammes en contraintes effectives t' - sn' ultimes (P-P') et résiduelles R (sup),  R(inf) déduits par Lutton et al, ont été portés sur la fig. 5.4. On constate que le domaine délimité par ces droites - déterminées d'après essais et analyse des glissements anciens -  englobe la presque totalité des points représentatifs T/P des "forces transverses permanentes" déduites par Collin.
Par ailleurs, l'ACP a réuni, compte tenu de la position - normale (^) ou parallèle ( // ) - des contraintes principales par rapport à la stratification, les différentes droites et courbes de régression délimitant les domaines de variation des relations sn' - t '  pour les cas de glissements initiaux (cas a), de glissements d'extension (cas b) ainsi que de glissements observés par le passé et remis en mouvement postérieurement (cas c) (fig. 5.5, De Puy, 1995).
Les droites O'N d'équation t ' = 21,0 + sn' tg 27°4 et OP d'équation t ' = sn' tg 20°7, respectivement indiquées Pl(sup) et Pl(inf), délimitent le champ de variation des argiles radoucissantes, cas (a) et (b). Les enveloppes extérieures  MN T1 (moy) d'équation t '(^) = 37,4 + sn' tg 20°1PQ Res(moy) d'équation t '( // ) = 10,2 + sn' tg 10°4  et l'enveloppe courbe OLN obtenue après intégration de l'équation j' (^) =13.1+ 39,8/(1+ sn'/144) bornent l'ensemble des résultats de Collin pour les argiles plastiques et consistantes. Par ailleurs, les relations sn* - t * pour les argiles très molles tombent dans l'aire OPQRO délimitant le lieu des relations sn' - t ' résiduelles drainées.
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Essais de frottement de Collin. Détermination des "forces transverses permanentes" pour des argiles du Lias. Ensemble des résultats expérimentaux et comparaison avec les droites t' - sn ' ultimes (P-P') et résiduelles R (sup) et R(inf) des argiles schisteuses de la formation Cucaracha (Lutton et al, 1979)
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Enveloppes des relations  effectives sn ' - t' déterminées par l'ACP (De Puy, 1995). Points représentatifs T/P des "forces transverses permanentes" pour des argiles du Lias (essais drainés).